C'est l'histoire d'une affaire qui opposait vendeurs et acquéreurs (et un notaire), suite à la signature d'une promesse de vente pour une maison d'habitation.

Sur le fond, un arrêt avait été cassé, et la partie gagnante en cassation n'avait plus qu'à saisir la juridiction de renvoi pour obtenir du juge du fond - la Cour d'appel d'appel - qu'il lui donne raison.

C'était tout cuit, car en effet, sur le fond, le défendeur à la cassation, défendeur sur le renvoi de cassation, n'avait plus grand chose à faire que d'attendre sa condamnation. C'était plié... sur le fond.

C'était toutefois sans compter que la procédure civile, la fourbe, peut constituer ce petit grain de sable qui empêche la mécanique de tourner correctement et comme prévu.

L'affaire a connu un hic procédural, le demandeur à la saisine ayant rencontré des difficultés pour saisir la cour de renvoi.

C'est ainsi qu'a été rendu cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 1er décembre 2016, publié au bulletin de la Cour de cassation, et notamment commenté par moi-même dans Dalloz Avocat.

Mais cette affaire ne devait pas en rester là.

Dès lors qu'il existait une évidente responsabilité du conseil ayant failli dans la saisine de la juridiction de renvoi, tout a été mis en oeuvre pour tenter, coûte que coûte, de sauver un dossier... bien parti sur le fond, mais qui a pris une mauvaise tournure alors que la tempête avait arrêté de sévir.

Et c'est un nouvel arrêt, publié, que nous donne la Cour de cassation, le 19 octobre 2017 (Civ. 2e, 19 octobre 2017, pourvoi n° 16-24.269, Bull. civ.).

L'attendu est le suivant :

"Mais attendu que l'irrecevabilité de la déclaration de saisine confère force de chose jugée au jugement de première instance, lorsque la décision cassée a été prononcée sur appel de ce jugement, rendant irrecevable toute nouvelle déclaration de saisine tendant à déférer à la cour d'appel la connaissance de ce jugement ;"

l'irrecevabilité de la déclaration de saisine confère force de chose jugée au jugement de première instance, lorsque la décision cassée a été prononcée sur appel de ce jugement, rendant irrecevable toute nouvelle déclaration de saisine tendant à déférer à la cour d'appel la connaissance de ce jugement

 

La position du demandeur à la cassation reposait sur divers points, tous plus douteux les uns des autres, et que la Cour d'appel de Rennes avait fort justement écarté dans son arrêt du 30 juin 2016.

Mais pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation se fonde sur un autre moyen, considérant que l'irrecevabilité de la déclaration de saisine suffit pour retenir que toute nouvelle déclaration saisine est irrecevable.

La Cour de cassation a peut-être voulu profiter de ce pourvoi, qui de toute manière ne pouvait prospérer, pour innover sur le plan procédural.

 

Nous pouvons nous étonner d'une telle substitution de motifs, alors que la deuxième chambre avait rendu deux arrêts, en 2016 (avril et septembre 2016), admettant que l'appelant ayant vu sa déclaration caduque pouvait réitérer son appel.

Par cet arrêt de cassation du 19 octobre 2017, la Cour de cassation fait donc une extension de l'actuel article 911-1 du Code de procédure civile - issu du décret du 6 mai 2017 - à la déclaration de saisine dont nous savons pourtant qu'elle n'est pas une déclaration d'appel.

Nous ne parlerons pas véritablement de revirement, dès l'instant où la précédente jurisprudence - souple - de la deuxième chambre n'était pas publiée.

Donc, après avoir fait preuve de souplesse, voire de résistance à ce qui était alors un projet de décret "Magendie 2", la Cour de cassation semble avoir décidé de faire sienne cette rigueur, pour l'étendre à d'autres actes de procédure, en l'espèce à une déclaration de saisine.

J'ignorais jusqu'alors que l'irrecevabilité de la déclaration de saisine confère force de chose jugée au jugement de première instance. C'est l'attendu posé avec une évidence déconcertante qui nous fait douter de l'étendue de notre connaissance en procédure. Mais c'est peut-être parce qu'avant cet arrêt de cassation, personne ne le savait encore...

Décidément, le droit à l'erreur n'existe vraiment plus en appel !!!

 

Cette position de la Cour de cassation ne repose sur aucun texte, mais semble s'inspirer de "l'esprit" de l'article 911-1.

Et si la Cour de cassation l'a admis pour une déclaration de saisine, rien n'empêche désormais d'étendre à toute autre procédure, le principe étant que "tu t'es planté une fois, c'en est terminé pour toi !". Raide, mais efficace !

L'irrecevabilité est donc l'arme fatale et absolue, à côté d'une nullité auquel l'article 2241 du Code civil a ôté tout intérêt.

 

Pouvons-nous en conclure que l'irrecevabilité pour une difficulté de procédure rendrait impossible toute autre action ?

Ainsi, en matière de clause préalable de conciliation, devrons-nous considérer que l'irrecevabilité - qui ne peut être régularisée, comme nous l'a dit la chambre mixte en décembre 2015 - rendrait impossible toute saisine du juge étatique même après que la partie se soit conformée à la clause en tentant une médiation ou une conciliation ?

 

Cet arrêt, avec ce très court attendu, pourrait donc avoir une portée allant au-delà de la déclaration de saisine.

 

Nous attendons les commentaires de cette décision qui ne passera certainement pas inaperçue. Je verrais bien un commentaire de Corinne Bléry sur cette question.

 

 

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Tout à fait d'accord avec vous Me LHERMITTE, L'erreur dans la saisine était imparable, mais le praticien en 2013 avait sans doute des excuses..... toujours est-il que la justice n'est pas rendue, l'erreur d'appréciation d'une clause de caducité par le juge du fond n'est toujours pas réparée (notaire oblige), je pense que dans tout cela, vous les praticiens du droit, importe peu votre statut, l'essentiel e votre mission à tous c'est de rendre la justice, le justiciable lui, est en droit d'attendre du système judiciaire un rendu équitable, l'interprétation plus ou moins fantaisiste des textes est sans importance pour une justice au service du peuple. Le justiciable après 9 ans de procédure est toujours dans la même situation, floué dans ses droits, je pense que la question de fond est de savoir comment justice peut-être rendu efficacement....... Bien cordialement.

Effectivement, derrière un problème de procédure, il y a un justiciable qui, légitimement, est en droit d'attendre une décision de justice qui tranche le différend.

Et attendre plusieurs années, sans que rien ne bouge, est difficilement acceptable, et en tous les cas incompréhensible, pour le justiciable qui subit.

Bien cordialement,

CL

Dommage que je ne vous ai pas contacté avant, ça ne serait pas arrivé.... Bien cordialement. B.C.

Bonjour,
Sans le dire, la Cour de cassation n'a-t-elle pas tout simplement fait application de l'article 1034 CPC ?
Cdt

Bonjour,
C'est le sens de cette disposition, effectivement.
Cordialement,

CL

Peut-on se prévaloir de l'acte de saisine établi sous la forme de conclusions pour ne pas établir un nouveau jeu de conclusions même en réponse à celles de l'intimé, devant la cour de renvoi.
Il s'agit d'un renvoi de cassation chambre sociale.

Merci de l'ensemble de vos commentaires très très très utiles.

VBD Confrère
Henoussene

Bonjour,

J'ai eu connaissance de cette pratique.. curieuse...
Je doute qu'il soit opportun de procéder de cette manière que je déconseille fortement.

VBD

CL