Nous avons connaissance du projet de décret dit RIVAGE (Rationalisation des Instances en Voie d'Appel pour en Garantir l'Efficience) réformant la procédure d’appel, dont il nous est déjà dit, avant même d’en discuter, qu’il serait inacceptable pour la profession d’avocat… ah bon ? j’ignorais que je n’étais pas d’accord avant même d’en connaître les termes…
Ne peut-on pas nuancer et dire que les propositions sont discutables ?
Toute proposition est bonne si elle améliore la procédure d’appel. Toute réforme ne peut pas être écartée par principe, par dogmatisme.
Mais encore faut-il que les modifications servent à quelque chose.
L’appel ne va pas bien, et on peut réfléchir à trouver des solutions pour l’améliorer, sans tout rejeter en bloc de manière quasi automatique.
Ce qui est proposé pour le filtrage de l'appel, a priori, c’est ça :
• Article 901 – 5 et 7 du code de procédure civile : que la déclaration d'appel doit contenir la date de la notification attaquée et être accompagnée d'une copie de la notification ;
• Article 905 du code de procédure civile : que le président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée peut d'office, avant même son orientation, par ordonnance motivée susceptible de pourvoi en cassation, déclarer l'appel manifestement irrecevable (absence de qualité de partie en première instance de l'appelant, décision rendue en dernier ressort, absence d'intérêt à interjeter appel si demande satisfaite, expiration du délai d'appel) ;
• Article 916 du code de procédure civile : ajout de l'impossibilité de former un autre appel principal contre le même jugement et à l'égard de la même partie lorsque l'appel a été déclaré irrecevable sur le fondement de l'article 905.
Rapidement, les quelques réflexions que cela m’inspire.
C’est du rapide, à froid, de sorte que mes réflexions peuvent évoluer…
- La notification de la décision dont appel
On comprend que la notification, est celle de la décision, dont appel.
Quelle sanction ?
A priori, ce qui est à l’article 901 relève de la nullité, pour vice de forme, avec grief.
Donc, si l’appelant omet d’indiquer la date de notification, ou de joindre l’acte de notification, peu importe a priori.
Il semblerait que n’est pas prévue l’obligation de notifier/signifier le jugement dont appel.
Pour rappel, jusqu’en 2014, l’article 611-1 du code de procédure civile, abrogé depuis, imposait à la partie demanderesse au pourvoi de faire notifier la décision, à peine d’irrecevabilité du pourvoi.
Cette obligation d’indiquer la date de notification se comprend avec la modification de l’article 916 et le relevé d’office de l’irrecevabilité de l’appel pour tardiveté.
Donc, en soi, la modification de l’article 901, si elle n’impose pas de faire signifier la décision dont appel, et si elle relève de la nullité pour vice de forme, n’est pas tellement sujette à discussion.
Cette modification n’est pas très contraignante, même si l’on peut aussi s’interroger de l’intérêt d’une telle indication lorsque l’appel est fait moins d’un mois après le prononcé du jugement, ou moins de quinze jours du prononcé de l’ordonnance.
Mais pourquoi pas ?
Toutefois, n’est-il pas possible de faire autrement ?
Ne faudrait-il pas prévoir que le juge peut, si le jugement a été rendu depuis plus d’un mois à la date de l’appel, et quinze jours pour une ordonnance, demander à la partie appelante de justifier de la recevabilité de son appel ?
C’est la pratique parisienne en matière prud’homale. Il est vrai qu’en l’espèce, il est aisé pour l’appelant de justifier d’une notification, puisqu’elle émane du greffe.
Lorsque l’acte est notifié par signification, c’est différent.
Mais il serait concevable que dans ce cas, sur demande du président, à peine d’irrecevabilité de l’appel, la partie appelante atteste ne pas avoir connaissance d’un acte de signification, ou indique qui a fait signifier et à quelle date.
- Déclarer les appels manifestement irrecevables
Le « peut » d’office n’est peut-être pas du meilleur choix.
N’oublions pas que l’article 125 du code de procédure civile, qui n’est pas modifié, prévoit que le juge « doit » relever d’office l’irrecevabilité pour inobservation des délais ou l’absence d’ouverture d’une voie de recours.
Est-il opportun de prévoir que le président pourrait le faire alors que le juge de la mise en état, le président, la cour d’appel, doivent relever d’office l’irrecevabilité pour appel tardif ou lorsque le jugement a été rendu en dernier ressort.
Il ne faut peut-être pas prévoir une simple possibilité, faute de quoi ce texte vient en contradiction avec l’article 125.
Si l’objectif est d’écarter rapidement ces appels, il faut reconnaître au président une obligation d’avoir à relever d’office ces fins de non-recevoir, voire une compétence exclusive jusqu’à l’orientation de l’affaire.
Il faut aussi en déterminer le contour : lorsque l’appel immédiat est fermé, la décision n’est pas rendue en dernier ressort, mais l’appel n’est pas recevable pour autant. Faut-il élargir le pouvoir du président à l’absence d’ouverture de la voie de recours, ce qui est une notion plus large que celle de décision rendue en dernier ressort ?
Est prévue une possibilité de relever d’office l’appel formée par une personne qui n’était pas partie en première instance.
Sérieux ?
En pratique, qui fait un appel pour un tiers ?
Et lorsque ça arrive, c’est peut-être parce que depuis la procédure de première instance, il y a une fusion absorption, une transmission universelle de patrimoine, la transmission partielle d’actif, un décès, etc.
Est-ce opportun que le président se penche sur cette difficulté et provoque des explications sur la recevabilité ?
Ne faut-il pas laisser aux parties le soin de discuter de l’effectivité de la qualité à agir de cette nouvelle partie.
Ces points de droits sont parfois assez délicats, et les juges ne saisissent pas toujours bien ces notions, de sorte qu’il peut être dérangeant de ne pas prévoir un déféré.
Imposer un pourvoi pour contester l’ordonnance me semble bien trop lourd.
Cela doit d’autant plus être écarté que dans la vraie vie personne ne fait appel d’une décision à laquelle il n’était pas partie. Pour ça, on a inventé la tierce opposition.
J’ai les mêmes réserves sur l’absence de succombance et donc le défaut de qualité à faire appel.
Le débat peut vraiment s’installer sur cette succombance, qui n’est pas toujours évidente. La décision est-elle un contrat judiciaire ? Est-elle appelable ?
Et que met-on derrière cette irrecevabilité pour absence de succombance ?
L’appel du jugement de divorce peut être irrecevable du chef du prononcé du divorce en l’absence de succombance. Le président aurait-il la possibilité de soulever cette irrecevabilité partielle ?
Ce n’est certainement pas opportun.
Notamment parce qu’il peut être dans l’intérêt de chaque partie que la dévolution porte sur le prononcé du divorce : l’un veut bénéficier de la pension alimentaire au titre du devoir de secours tandis que l’autre veut pouvoir invoquer une modification de sa situation pour conclure à une baisse de la prestation compensatoire. Le juge n’a pas à se mêler de ce qui relèverait alors de la stratégie procédurale des avocats, sachant que bien évidemment, les parties ne peuvent pas dévoiler leur stratégie devant le juge.
Défaut d’intérêt et défaut de qualité ne devraient pas relever du pouvoir du président en début de dossier.
De toute manière, en application de l’article 125 alinéa 2, le juge peut le faire.
Cette proposition ne me paraît pas opportune.
- Élargir le champ de l’article 916
Il est assez logique d’ajouter l’irrecevabilité de l’article 905 à l’article 916.
Mais il faut aller un peu plus loin car dans cette disposition, il manque toujours l’irrecevabilité de l’appel du jugement d’orientation, et la caducité en matière d’appel compétence. Pour ceux-là, l’appel après une irrecevabilité ou une caducité reste ouvert, sous réserve d’être dans le délai d’appel, ce qui sera le cas si la notification n’est pas conforme.
- En conclusion ?
Concernant la procédure d’appel, ce n’est pas la révolution qui est prévue.
Même s’ils ne représentent certainement qu’une part anecdotique des appels, il n’est pas inenvisageable de prévoir que les appels manifestement irrecevables sortent rapidement du circuit.
Mais cela ne peut concerner que les appels tardifs et ceux pour lesquels l’appel est exclu parce que le jugement est rendu en dernier ressort.
En soi, les propositions ne sont pas inacceptables ; mais elles méritent peut-être d’être discutée, pour être améliorées.
Mais en définitive, n’est-ce pas beaucoup de bruit pour rien en ce qui concernes ces modifications de l’appel ?
Je suis d’avis, a priori, que modifier les articles 901, 905 et 916 ne va pas servir à grand-chose.