En l'espèce, une instance avait été introduite à l'encontre d'une société "X... FRANCE", laquelle n'avait pas comparu. Cette société, condamnée par le tribunal, a fait appel.
Il est apparu qu'il existait deux sociétés, dont les noms étaient proches, mais immatriculées distinctement au RCS.
Or, la société qui avait fourni le carrelage litigieux n'était pas la société "X... FRANCE" mais la société "X...".
Le bon sens suffit à s'apercevoir qu'il y a manifestement un problème.
Reste à le qualifier dans un langage procédural, ce qui n'est pas toujours le plus simple...
Il est rappelé que l'article 32 du Code de procédure civile dispose que "est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir". L''article 122 du Code de procédure civile précise par ailleurs que "constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité".
En conséquence, est irrecevable toute demande formée contre une personne autre que celle à l'encontre de laquelle les prétentions peuvent effectivement être formées (voir par exemple Civ. 1re 5 déc. 1995, Bull. civ. I, n° 442, p. 309 – Civ 3e 28 janv. 1987, JCP 1987.IV.111 – Civ. 3e, 9 oct. 1989, JCP 1990.II.21491 – Civ. 1re, 22 mai 1962, Bull. civ. I, n° 259, p. 231 – Civ. 1re, 6 nov. 1990, JCP 1992.II.21905, note G. Bolard).
est irrecevable toute demande formée contre une personne autre que celle à l'encontre de laquelle les prétentions peuvent effectivement être formées
La société X... FRANCE attraite à l'instance n'était pas concernée par la procédure, n'ayant pas fourni le carrelage litigieux, et n’avait donc pas qualité à subir les prétentions émises par le demandeur.
C'est pourtant bien la SARL X... FRANCE qui avait été assignée en première instance, ce qui ne faisait aucun doute dès lors que l'adversaire - à tort - avait pris soin de bien préciser sur les actes de procédure le numéro RCS de la société, ainsi que l'adresse de son siège social. Il n'existait donc aucun doute quant à la personne morale à l'encontre de laquelle étaient émises les prétentions.
Si le demandeur n'avait pas été aussi précis dans son acte d'assignation, notamment quant au numéro de RCS, il aurait éventuellement pu réussir à trouver une argumentation plus sérieux à opposer à ce moyen de procédure.
Il peut être dangereux d'être trop précis, en portant des mentions non exigées par les textes. De manière générale il est déconseillé d'aller au-delà des textes, et notamment de préciser un numéro de RCS, mention non exigée par aucune texte du Code de procédure.
L'appelant pouvait donc pertinemment relever que si le nom des deux sociétés était proche, le RCS est bien évidemment différent, ainsi que le siège social. Il ne
pouvait donc y avoir de doute quant au fait qu'il s'agissait de deux entités juridiques distinctes, n'ayant aucun lien entre elles.
La question pouvait se poser de savoir si cette fin de non-recevoir ne devait pas être soulevée en première instance, et que l'appelant ne pouvait désormais plus l'opposer au demandeur.
Cependant, cette fin de non-recevoir peut être proposée en tout état de cause, et pour la première fois en appel, comme l'a déjà précisé la jurisprudence (Civ. 3e 16 juin 1982, Gaz. Pal. 1982.2.329). De plus, la société appelante était non comparante en première instance, et elle n'avait pas pu faire valoir ses moyens de défense.
cette fin de non-recevoir peut être proposée en tout état de cause, et pour la première fois en appel
C'est sur cette démonstration que la Cour d'appel de Rennes a réformé le jugement dont appel et a déclaré irrecevables les prétentions formées contre une société dépourvue de qualité, par un arrêt du 20 mars 2014 (CA Rennes 4e 20 mars 2014, n° 13-02428, réf. cabinet 100473) :
Il s’ensuit que les prétentions formées à l’encontre de la société X... France sont irrecevables pour être dirigées à l’encontre d’une société dépourvue de qualité, cette fin de non-recevoir pouvant être soulevée pour la première fois en cause d’appel.
Commentaires
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manifique!
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Magnifique!
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j’apprécie votre travail c'est très riche en enseignement, cependant dans l’hypothèse par exemple d'une station service ou la gestion est confiée sous contrat à un gérant libre qui pour l'exploitation de cette station doit avoir la qualité de commerçant, une action d'un travailleur contre la station service peut elle constituer une fin de non recevoir étant entendu que le gérant exploite une marque commerciale et n'est pas propriétaire de la marque.
l'action ne devrait elle pas être dirigée contre la personne du gérant?
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Bonsoir,
Je n'arrive pas à trouver d'où vous sortez cette phrase or j'aimerais l'utilisée s'il s'agit d'un article ou d'une jurisprudence.
Je suis un élève en deuxième année de droit
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Bonjour,
Quelle phrase ?
Cordialement,
CL
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Bonjour,
Celle-ci : "" est irrecevable toute demande formée contre une personne autre que celle à l’encontre de laquelle les prétentions peuvent effectivement être formées "
Merci !
Cordialement
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Bonjour,
Je ne sais plus trop. Je suppose qu'elle vient de moi. Mais c'est peut-être cité dans les arrêts dont je fais état. Je ne sais plus.
Bonne continuation dans vos études.
CL
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Article très pertinent et limpide.
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Bonjour,
Je bois habituellement vos écrits avec délice.
Vous abordez là un sujet qui me turlupine depuis longtemps.
L'action contre la mauvaise personne. (En quoi est-ce différent si c'est la mauvaise personne physique ou la mauvaise personne morale?)
Il y a une sorte d'incohérence dont je ne parviens pas à sortir.
Vous nous dites:
"Il est rappelé que l’article 32 du Code de procédure civile dispose que « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir« . L' article 122 du Code de procédure civile précise par ailleurs que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité...» " .
Le problème est que souvent on ne peut pas, sans examen au fond, savoir si la personne contre qui on agit est ou non "dépourvue de droit d'agir".
Je m'explique. Si on agit contre quelqu'un qui n'est pas l'auteur du dommage allégué, ou qui n'est pas le débiteur de l'obligation alléguée (pour prendre deux sortes classiques de procès), ou même simplement contre quelqu'un dont on ne peut pas prouver qu'il est "la bonne personne", on perdra son procès... OK. Mais comment qualifier? Irrecevabilité ou débouté?
Pour moi, c'est plutôt une défaite au fond du droit.
Mon"ressenti" de professionnel, c'est que, devant les juges du fond, si on agit contre quelqu'un, mais qu'on ne peut prouver qu'il doit, le juge nous déboute. J'imagine qu'on est tous d'accord.
Si on agit contre plusieurs co-auteurs présumés d'un dommage, et qu'il apparait que seuls certains sont concernés et pas d'autres, on gagnera contre les uns et on sera débouté de sa demande contre les assignés non concernés, mais le juge ne va nous déclarer irrecevable à leur égard. Ce n'est pas la pratique, pas l'usage. Pourtant, contre eux, on s'est bien "trompé" de personne en dirigeant son action.
Si, maintenant, on agit contre quelqu'un, et qu'il apparait en cours d'instance que c'est un autre qui doit, (presque homonyme ou non), mais que cet autre n'est pas dans la cause, on pourrait, ou, même, on devrait être déclaré irrecevable?
Où est la cohérence?
Pour le défendeur, répondre "c'est pas moi!" serait une défense au fond, mais répondre "c'est pas moi, c'est lui" serait une fin de non recevoir?????
On voit parfois des plaideurs qui demandent leur "mise hors de cause". Et des juges qui l'ordonnent. Sur quel texte? N'est-ce pas seulement que le demandeur est débouté à leur égard? Parce qu'au fond du droit, il n'a pas d'action contre eux. Il a une action,peut-être, mais contre quelqu'un d'autre.
N'est-ce pas par erreur, par faux bon sens, par intuition trompeuse, par facilité, que certains, et peut-être même la Cour de Cassation veulent faire du caractère mal dirigé d'une demande une fin de non recevoir. Pour savoir si une demande est mal dirigée, il faudra parfois l'examiner au fond, et donc le moyen ne peut pas être une fin de non recevoir. Le choix, irrecevabilité ou débouté, ne peut pas dépendre du caractère plus ou moins évident du "mal dirigé". ce ne serait pas satisfaisant intellectuellement.
Je crois qu'on a tort de vouloir donner du sens aux deux mots "et contre" de l'article 32, alors que cela n'a aucun sens, ou qu'en tout cas je cherche ce sens sans succès depuis longtemps..
Que peut vouloir dire une prétention émise CONTRE une personne dépourvue du droit d'agir, alors que l'article 30 nous dit que, pour le défendeur, l'action (donc agir) c'est le droit de discuter le bien fondé de la prétention adverse.
Il y a des personnes dépourvues du droit d'agir (en demande). OK. On les connait. Mais en défense ?!? Si il était concevable d'agir "contre une personne dépourvue du droit d'agir", cette personne, par hypothèse, défendrait à l'instance.. Il y aurait donc des personnes qui seraient "dépourvues du droit d'agir en défense", donc dépourvues du droit de discuter (article 30) le bien-fondé des prétentions émises contre eux"?
Peut-on être irrecevable à se défendre? Dangereux!
Expliquez-moi. Il y a 25 ans que je me casse les dents sur ce truc.
Merci d'avance.