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Si l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux (CA Bordeaux 1re chambre 5 mars 2012, RG n° 11/4968) n'a pas fait couler beaucoup d'encre, il a en revanche affolé les pixels.

De nombreux commentaires, de confrères avocats et d'avocats anciens avoués, et même du CNB, ont encensé cet arrêt, érigé comme la décision qui consacre l'avènement du RPVA comme la voix ultime pour la notification des actes de procédure entre les auxiliaires de justice.

C'est cependant donner peut-être un peu trop de poids à un arrêt qui n'est pas exempt de critiques.

L'article 748-2 du Code de procédure civile, créé par l'article 73 du décret n° 2005-4678 du 28 décembre 2008, est situé dans le titre consacré à la communication électronique. Il prévoit que

"le destinataires des envois, remises et notifications (…) doit consentir expressément à l'utilisation de la voie électronique, à moins que des dispositions spéciales n'imposent l'usage de ce mode de communication".

Consentir expressément signifie accepter formellement, explicitement, ce qui est le contraire du consentement tacite ou implicite.

Pour motiver sa décision, et imposer la voie électronique comme un moyen régulier de notifications entre auxiliaires de justice, les juges bordelais ont motivé comme ceci leur décision : "Dés lors en adhérant au RPVA et en devenant attributaire d’une adresse personnelle dont le caractère spécifique résulte de l’identification par son nom et son prénom précédé d’un radical unique constitué par son numéro d’affiliation à la Caisse Nationale du Barreau Français, Maître Anne - Marie CIVILISE avocat de la société LACOSTE - ARGONNE doit être présumée avoir accepté de consentir à l’utilisation de la voie électronique pour la signification des jugements à son égard. Il n’est donc pas nécessaire de recueillir son accord express en application de l’article 748 - 2 du code de procédure civile qui n’a pas vocation à s’appliquer entre avocats postulants adhérents au RPVA."

Les juges d'appel écartent l'application de l'article 748-2 du Code de procédure civile, au motif que l'adhésion au RPVA, purement facultative en l'espèce, vaudrait acceptation tacite.

Cette acceptation tacite permettrait donc d'écarter cette disposition exigeant un consentement exprès.

La Cour d'appel de Bordeaux considère en définitive qu'il n'y a pas lieu d'exiger un consentement exprès dès lors qu'il existe un consentement présumé…

Ce raisonnement n'est guère convaincant sur le plan juridique. Le consentement est soit exprès, soit tacite, et l'existence d'un consentement présumé ne pourrait écarter l'application d'un texte qui exige un consentement exprès.

Le législateur a imposé un consentement exprès, ce qui exclut évidemment un consentement tacite, et il ne peut être admis que le juge écarte cette obligation de consentir expressément au motif qu'il existerait un consentement tacite, sauf à ôter toute portée au texte, lequel pourra alors être purement et simplement supprimé du Code de procédure.

Qu'il existe ou non une convention, ou que la simple adhésion ne soit que facultative ne change au rien au fait que l'article 748-2 du Code de procédure civile, qui ne connaît qu'une exception, à savoir les "dispositions spéciales", et qui a vocation à s'appliquer à l'ensemble des envois, remises et notification par voie électronique, exige un consentement exprès.

Admettre cette décision de la Cour de Bordeaux reviendrait à admettre la présomption du consentement exprès, ce qui constitue un non-sens sur le plan purement juridique.

Le consentement est soit présumé, soit exprès.

 

D'ailleurs, la motivation de l'arrêt bordelais laisse ouverte la question concernant la communication électronique en appel, et encore plus en ce qui concerne les avocats anciens avoués.

En effet, les avoués ont été obligés d'adhérer au RPVA.

Il faut rappeler que les avoués étaient officiers ministériels.

Cette qualité leur imposait notamment d'inscrire tout appel sans possibilité pour eux de refuser, sauf pour de justes motifs comme la contrariété d'intérêts.

Ainsi, sauf à prendre le risque de sanctions disciplinaires, les avoués n'ont eu d'autres choix, en 2011, que d'adhérer au seul système existant, à savoir le RPVA, pour pouvoir accomplir leur mission, étant rappelé que les remises et notifications des déclarations d'appel et les constitutions doivent obligatoirement être effectuées par voie électronique depuis le 1er septembre 2011 (arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel).

Cette adhésion au RPVA par les avocats anciens avoués n'a donc pas été facultative, mais a été imposée par leur statut.

Est-il possible par conséquent de considérer que, en appel, l'adhésion au RPVA, qui est obligatoire, vaudrait consentement exprès à l'utilisation de la voie électronique, et par conséquent acceptation de recevoir les envois et les notifications par voie électronique ?

Il doit être répondu par la négative à cette interrogation.

Il ne peut être passé outre le consentement exprès de l'article 748-2 du Code de procédure civile que s'il existe des "dispositions spéciales".

Les actes d'appel et les constitutions sont remis et notifiés par voie électronique entre l'auxiliaire de justice et la juridiction, et entre auxiliaires de justice, par voie électronique, sans que soit exigé de la juridiction et de l'auxiliaire un consentement exprès à ces remises et notifications, une disposition spéciale, à savoir l'arrêté du 30 mars 2011, imposant ce mode de communication.

 

Cet arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux mériterait peut-être d'être soumis à la censure de la Cour de cassation, tant sa motivation, aussi séduisante soit-elle a priori, est en définitive assise sur des bases dont la solidité est sujette à discussion.

En l'état, le problème de l'envoi et de la notification par le RPVA reste entier, et la discussion reste ouverte.

 

Mise à jour le 15 mai 2013 : d'ailleurs, la Cour d'appel de Toulouse, dans une décision du 4 décembre 2012, a statué dans un sens radicalement différent, considérant que des conclusions régularisées par voie électronique étaient irrecevables dès lors que le destinataire, avocat, n'avait pas donné son consentement exprès à cet envoi par voie électronique (cliquez ici pour voir le billet sur ce blog). Cette décision toulousaine confirme les craintes qui avaient été émises après l'arrêt de Bordeaux (voir Recueil Dalloz n° 25 du 28 juin 2012, entretien Christophe Lhermitte, "les enjeux des actes de procédure via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA)")

Auteur: 
Christophe LHERMITTE