Opération décorticage d'arr^t (Cass. 2e civ., 8 juin 2023, n° 21-19.997, Publié au bulletin) :

  • « 6. Selon l’article 960 du code de procédure civile, la constitution d’avocat par l’intimé ou par toute personne qui devient partie en cours d’instance est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats. Seule la notification entre avocats rend ainsi opposable à l’appelant la constitution d’un avocat par l’intimé, à l’exclusion de tout autre acte.
  • 7. Cette règle de procédure donne à l’appelant l’assurance d’être directement averti par le conseil de l’intimé de sa constitution au moyen d’une notification, le cas échéant effectuée par le réseau privé virtuel avocat.
  • 8. L’arrêt relève qu’il ressort des messages électroniques générés par le RPVA que le 17 juillet 2019 à 20h59, l’avocat de l’intimée a adressé au greffe de la cour d’appel, avec l’avocat de l’appelant en copie, la déclaration numérique de sa constitution, l’acte de constitution de l’intimée, que cet envoi a généré un double accusé de réception du message et des pièces jointes par l’avocat de l’appelant le même jour à la même heure, à l’égard de l’avocat de l’intimée et du greffe, conformément aux articles 960 et 748-3 du code de procédure civile.
  • 9. Ayant exactement retenu que le traitement administratif, par le greffe, de la constitution d’avocat de l’intimé, qui permet à ce dernier d’accéder au dossier numérisé, n’a pas d’incidence procédurale sur l’existence, la date et l’opposabilité de la constitution dénoncée à l’avocat de l’appelant, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. »

 

En 2023, la Cour de cassation doit expliquer de quelle manière l’avocat constitué par la partie intimé - qui lui donne mandat de représentation - doit informer l’avocat de la partie appelante.

On croit tout de même rêver car ces règles sont en vigueur depuis le code de 1975.

Il faut donc notifier un acte de constitution, pour que cette constitution, à savoir le mandat de représentation, soit opposable à l’avocat de l’autre partie.

Relevons au passage l’incohérence du système électronique : en l’espèce, l’avocat avait adressé son acte de constitution au greffe en mettant en copie l’autre avocat. Pour être en stricte conformité avec les textes, il faudrait notifier au confrère, avec copie pour le greffe.

Mais peu importe, on s’adapte à un système informatique élaboré aves des avocats qui avaient dû oublier le CPC dans le vestiaire.

Donc, pour informer d’une constitution, rien d’autre à faire que de notifier un acte de constitution, à l’exclusions de tout autre acte (courrier, conclusions…).

Le « cas échéant » pose question : le RPVA est-il une obligation, comme on peut le penser, pour notifier un acte de constitution ? est-il possible d’adresser un courrier électronique ? de remettre un acte sur support papier même en l’absence d ‘une cause étrangère ?

Et pour le RPVA, c’est l’AR de la notification de l’acte de constitution à l’autre avocat qui détermine le jour et l’heure à laquelle cette constitution est opposable à l’autre avocat.

La Cour de cassation souligne par ailleurs qu’il importe peu quel est le traitement administratif de l’acte de constitution par le greffe.

En d’autres termes, le greffe peut tarder à traiter cette constitution, ou même ne pas en tenir compte.

Cela n’a aucune conséquence sur la représentation de la partie.

La partie n’est plus défaillante dès lors que son avocat a notifié l’acte de constitution à l’avocat de l’autre partie, quand bien même, d’ailleurs, cet acte de constitution n’aurait pas été transmis au greffe.

Et par voie de conséquence, si la partie a seulement transmis un acte de constitution au greffe, sans l’adresser à l’avocat de l’appelant, cette constitution n’est pas opposable à l’appelant qui n’a pas à tenir compte de cet envoi sans effet sur le plan procédural.

En définitive, l’avocat de l’appelant n’a pas à se fier aux informations contenues dans le dossier numérique de la cour d’appel. Ce que l’avocat doit surveiller, c’est sa messagerie électronique.

  • « 13. Il résulte des dispositions précitées de l’article 911 du code de procédure civile que l’appelant est tenu de notifier ses conclusions dans le délai de trois mois prévu à l’article 908, à l’avocat de l’intimé, dès lors que ce dernier s’est constitué. Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai de trois mois, que l’appelant doit signifier ses conclusions à la partie intimée qui n’a pas constitué avocat, sauf si entre temps celle-ci a constitué avocat avant la signification des conclusions.
  • 14. Une telle notification faite à l’avocat de l’intimé constitué poursuit l’objectif légitime de garantir à ce dernier qu’il disposera, pour remettre ses conclusions, de la totalité du délai qui lui est imparti par l’article 909 du code de procédure civile, sans qu’il se trouve exposé à l’aléa tenant à l’absence ou au retard de transmission par son client des conclusions de l’appelant qui lui auraient été signifiées. Une telle disposition constitue ainsi pour l’intimé une formalité nécessaire au respect des droits de la défense.
  • 15. S’agissant d’une formalité prévisible, résultant d’une disposition éclairée par une jurisprudence constante ( 2e Civ., 5 septembre 2019, n° 18-21.717, publié), elle ne conduit pas à faire supporter à l’appelant une charge excessive et n’est pas empreinte d’un formalisme excessif, dès lors qu’il est mis en mesure de procéder à des diligences alternatives selon qu’il a reçu ou non l’information de la constitution de l’avocat avant de procéder à la formalité qui lui incombe.
  • 16. Par conséquent, de telles dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée à l’accès au juge d’appel au regard du but poursuivi.
  • 17. Ayant constaté, que l’appelant avait reçu notification de la constitution d’un avocat par l’intimé le 17 juillet 2019, qu’il n’avait pas été mis dans l’impossibilité de notifier ses conclusions à l’avocat de l’intimé dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel, soit avant le 7 août 2019, en application des articles 908 et 911 du code de procédure civile, c’est à bon droit que la cour d’appel en a exactement déduit, sans méconnaître les dispositions de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que la déclaration d’appel était caduque faute de notification des conclusions à l’avocat de l’intimé dans les délais impartis. »

La formulation est ambigue. Il semblerait qu’avant l’expiration du délai de trois mois, l’appelant ne pourrait pas signifier ses conclusions à l’intimé. Il devrait attendre l’expiration du 908 pour les signifier à la partie, ou à l’avocat qui s’est constitué depuis l’expiration de ce délai 908.

Il ne nous paraît pas que c’est cette lecture qu’il convient de faire, car cela n’aurait strictement aucun sens.

En revanche, ce qui est certain c’est que si un avocat a notifié un acte de constitution préalablement à la remise des conclusions, ne serait-ce que quelques minutes avant, c’est à l’avocat et à lui seul qu’il faut notifier les conclusions, et dans le strict délai de l’article 908.

L’avocat de l’appelant, qui doit impérativement surveiller les réceptions des messages transmis par voie électronique, sait donc nécessairement si la partie adverse a ou non constitué avocat. En effet, il ne peut ignorer avoir reçu un acte de procédure, et l’avocat de l’intimé peut quant à lui justifier de l’opposabilité de sa constitution, avec l’AR.

En l’espèce, lorsque l’appelant a fait signifier ses conclusions à la partie, il avait, la veille au soir, reçu notification de l’acte de constitution.

Dès réception de cet acte, il devait tenir compte de cette constitution, et notifier les conclusions à l’avocat, non à la partie elle-même. Une telle signification est sans effet quant à l’article 911, qui n’est alors pas satisfait.

La Cour de cassation habille le truc avec le retard de transmission des conclusions à l’avocat.

On peut tout de même se dire que c’est du pipeau, et que l’habillage est un peu voyant.

Le fait est que ce sont les textes : s’il y a un avocat, c’est à l’avocat, et s’il n’y en pas , c’est à la partie.

Que c’est fatiguant que de devoir inventer une explication pour justifier une règle de procédure.

On aurait parfois envie de répondre que c’est comme parce que c’est comme ça ! Et que c’est pas très compliqué à appliquer, sans avoir à chercher la finalité de tout cela.

Mais, non, c’est pas comme ça que ça se passe...

Auteur: 
Christophe Lhermitte