A ma connaissance, les décisions sur ce point sont rares, pour ne pas dire inexistantes... mais je ne connais pas non plus toute la jurisprudence de la Cour de cassation.
Il s'agissait, pour la Cour de cassation, de se prononcer sur le formalisme imposé en matière de jour fixe.
Il est vrai que depuis que les décisions en matière de saisie immobilière relève du jour fixe, cette procédure a connu une inflation évidente.
De plus, les avocats, qui interviennent seuls en appel, depuis la suppression des avoués, en 2012, ne sont pas toujours rompus à cette procédure un peu particulière.
En l'espèce, l'appelant avait bien procédé selon la procédure à jour fixe, mais il apparaît que la requête ne contenait pas les conclusions et ne visaient pas les pièces.
Or, l'article 918 du Code de procédure civile prévoit que "la requête doit exposer la nature du péril, contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives".
Si le péril n'a pas à être démontré en matière de saisie immobilière, cela reste un jour fixe classique.
La partie appelante doit donc se conformer aux dispositions imposées par les articles 917 et suivants du CPC.
La Cour de cassation, par un arrêt de cassation, le rappelle et déclare en conséquence l'appel irrecevable (Civ. 2e, 7 avril 2016, n° 15-11042, Publié au bulletin) :
Vu les articles R. 311-7 et R. 322-19 du code des procédures civiles d'exécution et 122, 125 et 918 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte des deux premiers de ces textes qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, l'appel du jugement d'orientation doit être formé selon la procédure à jour fixe dans les quinze jours suivant la notification de ce jugement ; que selon le dernier de ces textes, la requête tendant à voir fixer le jour auquel l'affaire sera appelée par priorité doit contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que sur des poursuites de saisie immobilière engagées par la Caisse de crédit mutuel Mulhouse Europe (la banque) à l'encontre de la société Chamazoe, un jugement d'orientation a ordonné la vente par adjudication de l'immeuble saisi ; que la société Chamazoe a interjeté appel de ce jugement et, sur autorisation du premier président donnée par ordonnance du 1er juillet 2014, a fait assigner la banque et les créanciers inscrits à jour fixe ;
Attendu que la cour d'appel a déclaré la société Chamazoe recevable en son appel mais irrecevable en ses conclusions prises les 23 juillet, 26 août et 25 septembre 2014, constaté que l'appel n'était pas soutenu et confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'appel était dirigé contre un jugement d'orientation et que la requête de la société Chamazoe tendant à être autorisée à assigner ses adversaires à jour fixe ne contenait pas les conclusions sur le fond ni ne visait les pièces justificatives, de sorte que le formalisme de l'article R. 322-19 du code des procédures civiles d'exécution n'avait pas été respecté, et qu'en outre l'ordonnance statuant sur cette requête était sans incidence sur la recevabilité de l'appel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
La Cour de cassation rappelle, et nous l'avons déjà maintes fois dit sur ce blog, qu'il importe peu que la requête ait pu donné autorisation d'assignation à jour fixe, cette autorisation étant sans influence sur la recevabilité de l'appel.
Le non respect du formalisme imposé ne relève pas de la simple nullité pour vice de forme, ce qui aurait pu être soutenu.
Ce formalisme est imposé à peine d'irrecevabilité.
Alors, gare aux procédures en matière de jugement d'orientation, qui réservent certaines déconvenues.
Et je peux vous dire avoir vu récemment une procédure incroyablement malmenée, l'appelant ayant passé outre cette requête, et s'étant autorisé lui-même à assigner à une audience du... Premier Président ?!? Le plus drôle était que l'avocat qui avait procédé ainsi se présentait sur son site internet comme ayant une solide expérience en procédure civile. Effectivement, c'est flagrant...
Une chance pour l'appelant, l'appel - irrecevable pour de nombreuses raisons - s'était terminé par un accord avec l'intimé. Mais l'avocat de l'appelant n'a certainement toujours pas compris à quel point il avait eu chaud aux oreilles...
Commentaires
Permalien
Maître,
Je vous avouerai que ce qui m'a étonné dans la lecture de cet arrêt, c'est le fait que la Cour de cassation ait cassé l'arrêt d'appel. Or, le choix de l'irrecevabilité des conclusions et écrits subséquents peut se comprendre (quoique, comme vous le dites, l'irrégularité pour vice de forme peut-être plus encore). La Haute juridiction préfère prononcer l'irrecevabilité de l'appel interjeté.
Je vous l'accorderai, la nuance peut paraitre subtile. Pour autant, le code rouge cite un vieille arrêt (sous 918 CPC), jadis commenté par le regretté R. Perrot (Cass. Civ. 1ère, 23 fév. 1983, n° 81-14731, Bull. Civ. I, n° 74, RTDciv. 1983, p. 599-600, obs. R. Perrot). Selon les propos de l'auteur, la Cour fait clairement la distinction entre la requête, en ce qu’elle ne concerne que la date à laquelle le recours sera examiné, et l'appel ; l'irrégularité éventuelle de la première ne contaminant ainsi pas le second.
L'arrêt du 7 avril 2016 semble alors affirmer le contraire. Pour autant, doit-on en exagérer la portée ? Le visa des articles R. 311-7 et R. 322-19 CPCE pourrait laisser penser que la sanction se limite aux procédures à jour fixe « imposées » et non « choisies » (C. Laporte, Procédures 2014, étude n°8).
Qu'en pensez-vous ?
Permalien
Bonjour,
Je pense, pour ma part, que la Cour de cassation, avec les décisions rendues en matière de jugement d'orientation, a voulu rappelé que le jour fixe en matière de saisie immobilière reste un our fixe comme un autre, la seule différence étant qu'il n'y a pas lieu de justifier d'un péril.
J'avouerai qu'il y a quelques années, lorsque le texte est entré en vigueur, j'estimais que la rigueur du jour fixe ne s'appliquait pas à ces appels des jugements d'orientation, même s'il fallait tout de même passer par le jour fixe. Ainsi, il me semblait que le délai de huit jours ne s'imposait pas. La jurisprudence m'a donné tort.
Certains - dont je n'étais pas - estimaient même que le jour fixe était optionnel (et on me le soutient au demeurant dans un dossier actuellement en cours devant Rennes).
Un jour fixe étant un jour fixe, je considère que la solution de la Cour de cassation vaut non seulement pour les appels imposant le jour fixe, mais également pour tous les jours fixes.
Cependant, la portée sera différente dès lors que ce n'est que lorsqu'il est imposé que l'appel est menacé.
Si une partie décide de faire un jour fixe pour aller plus vite, même si son jour fixe est bancal et ne passe pas, il pourra poursuivre sur son appel, et passer alors par une procédure 905. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle - à mon avis - la jurisprudence sera alimentée par les procédures imposant ce jour fixe.
Bien cordialement,
Christophe Lhermitte