A une période où les futurs bacheliers et les futurs recalés au baccalauréat sont en pleine révision (ou pas, mais il est grand temps), en voilà un sujet intéressant que celui de savoir s'il faut avoir raison trop tôt ?
Un litige opposait deux professionnels de l'immobilier pour la commercialisation d'un programme immobilier en VEFA.
Un contrat avait été signé entre deux sociétés pour la promotion et la vente en l'état futur d'achèvement d'appartements privatifs situés.
Un différend est apparu pour le règlement des honoraires (c'est toujours quand il faut payer que ça coince).
Le problème est que, les pratiques étant ce qu'elles sont - et pour une raison que nous dirons indéterminée - le mandat dont le mandant se disait en possession ne comportait pas le numéro de registre, ce qui est une cause de nullité au regard de la loi Hoguet du 2 janvier 1970 et de son décret du 20 juillet 1972.
Invoquant les articles 1134 et 1156 du Code civil, il était conclu à titre principal que les rapports entre les parties contractantes étaient de nature particulière. En effet, le promoteur, souhaitant ne pas se charger de la commercialisation des appartements, avait confié cette mission à un autre professionnel, jouant le rôle d'intermédiaire.
Dès lors, l'un avait la qualité d'intermédiaire entre le vendeur et l'acquéreur, qui était chargée de conseiller et de convaincre l'acquéreur d'acheter le bien vendu en l'état futur d'achèvement.
Dans ce type d'opérations, courantes depuis les années 1990, l'intermédiaire se fait habituellement rémunérer sur un pourcentage, de l'ordre de 10 % du prix de vente du bien immobilier.
La particularité de cette opération entre deux professionnels de l'immobilier, et la nature des rapports du vendeur avec l'intermédiaire, n'avaient évidemment pas été prévues dans la loi dite Loi Hoguet, laquelle n'avait pas vocation à régir ce type de rapports entre professionnels de la construction et de l'immobilier. La loi Hoguet a vocation à protéger le non professionnel.
Ainsi, au regard de la finalité de la loi Hoguet du 2 janvier 1970, qui est la protection du non professionnel, et qui régit en droit français l'activité d'entremise des intermédiaires de l'immobilier, il était soutenu que cette disposition ne saurait être applicable entre deux professionnels de l'immobilier.
Etait invoquée la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle la mission générale d'organisation et de gestion de la commercialisation d'un programme à construire, nonobstant l'intitulé "mandat de vente", exclut l'application des dispositions de la loi du 2 janvier 1970 et du décret du 20 juillet 1972 (Civ. 1re 16 novembre 2004, n° 02-11138 – Civ. 1re 13 novembre 2003, n° 02-10229 – voir également Civ. 1re 31 octobre 1989, n° 88-13.784, Bull. 1989 I n° 333 p. 223 : inapplicabilité de la loi du 2 janvier 1970, dans le cadre d'un mandat portant sur la commercialisation d'un programme immobilier construit par le vendeur et pour lequel l'intéressé n'agit qu'en qualité de représentant mandataire du constructeur – Civ. 1re 1er décembre 1993, n° 91-18.284, Bull. 1993 I n° 349 p. 243 (deux arrêts) : le constructeur vendeur ne peut se prévaloir de la loi du 2 janvier 1970 à l'égard d'une société à qui elle a confié une mission de conception, d'assistance et de commercialisation concernant un programme immobilier construit par elle – Civ. 1re 10 avril 1996, n° 94-12.509 – Civ. 1re 20 février 2001, n° 98-22.830).
Cette argumentation n'avait cependant pas trouvé écho auprès des magistrats de la chambre commerciale de la Cour d'appel de Rennes (CA Rennes 3e 21 janvier 2014, réf. cabinet 100549), lesquels ont considéré que la Loi Hoguet de 1970 trouvait à s'appliquer entre deux professionnels :
"Contrairement à ce que soutient à tort l’intimé cette loi, qui ne fait pas de distinction et qui n’exclut son application que pour des personnes physiques ou morales spécifiquement déterminées à
l’article 2, a vocation à s’appliquer y compris entre professionnels de l’immobilier et à la société X... en particulier, agence immobilière, qui ne fait pas partie des personnes exclues du bénéfice de cette loi".
La loi a vocation à s'appliquer entre professionnels de l'immobilier
Aucun pourvoi n'a été formé à l'encontre de cet arrêt qui est devenu irrévocable (après avoir été définitif...).
Le rebondissement provient d'un arrêt de la Cour de cassation intervenu trop tard, considérant que "le mandat litigieux conclu entre le mandataire initial et un négociant ne relevait pas des dispositions protectrices de la loi du 2 janvier 1970 et de son décret d'application" (Civ. 1re 30 avril 2014, n° 13-13.391).
La loi Hoguet ne s'applique pas entre agents immobiliers
Le sentiment laissé est mitigé.
D'un côté, se dire que l'argumentation développée n'était pas aussi stupide que peut le laisser entendre la lecture de l'arrêt de la Cour d'appel, puisque la Cour de cassation l'a fait sienne.
Mais d'un autre côté, quel dommage de se dire qu'à quelques mois près, le dossier aurait été gagné, sur la même argumentation. Ou alors qu'un pourvoi aurait permis d'aboutir à une cassation.
Entre réconfort et frustration, mon sentiment balance...
Donc, finalement, je botterai en touche quant à la réponse à donner à la question de savoir s'il faut avoir raison trop tôt...