Un arrêt très intéressant, qui mériterait un commentaire plus long... et qui sera immanquablement commenté.

Il concerne le déféré, qui a connu un véritablement essor depuis 2012, c'est-à-dire depuis qu'il n'est plus nécessaire de connaître les règles de la procédure d'appel pour aller en appel. Bon, j'admets, je charge un peu, mais il y a un peu de ça tout de même...

En l'espèce, un déféré avait été formé, mais passé le délai de 15 jours.

Pour s'opposer à (l'inévitable ?) irrecevabilité, le demandeur au déféré se prévalait du délai de distance dont il devait profiter.

La Cour de cassation reste insensible à cette argumentation, et il ne pouvait qu'en être ainsi (Civ. 2e, 11 janvier 2018, n° 16-23.992, Bull. civ.) :

Mais attendu que la requête en déféré est un acte de procédure qui s'inscrit dans le déroulement de la procédure d'appel et n'ouvre pas une instance autonome, de sorte que l'augmentation de délais prévue par l'article 643 du code de procédure civile pour les personnes domiciliées à l'étranger, lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, ne s'applique pas à ladite requête ;

Et attendu qu'ayant relevé que les requêtes en déféré avaient été formées plus de quinze jours après la date des ordonnances rendues par le conseiller de la mise en état en violation des dispositions de l'article 916 du code de procédure civile dans sa version alors applicable, c'est à bon droit que la cour d'appel les a déclarées irrecevables ;

 

Il est vrai que la Cour de cassation semble appliquer au déféré les règles de la procédure d'appel. Ainsi, est ouvert le déféré incident à l'image de l'appel incident.

Le juges ont également admis le déféré nullité, sachant que cette action en nullité s'applique au "recours" qui aurait ouvert contre la décision dont la nullité est poursuivi.

Mais la Cour de cassation prend soin de ne pas qualifier ce déféré de "recours".

Et il n'est pas contestable que ce déféré est uniquement visé à l'article 916, propre à la procédure d'appel. Il n'a pas sa place dans les textes relatifs aux voies de recours comme le sont l'appel, l'opposition (pour les voies de recours ordinaires), ou le pourvoi, la tierce opposition, le recours en révision (pour les voies de recours dites extraordinaires).

Ca ressemble à un recours, mais ce n'est pas une voie de recours.

Dès lors, il était évident que ce délai de quinzaine, qui n'est pas un délai pour exercer une voie de recours, ne pouvait profiter des délais de distance.

Le déféré n'est pas un recours, c'est un acte de procédure.

C'est d'ailleurs, au passage, parce que c'est un acte de procédure que la Cour de cassation a précisé, en 2017, qu'il devait, à peine d'irrecevabilité, être formé par voie électronique.

Cette formulation "acte de procédure qui s'inscrit dans le déroulement de la procédure d'appel" justifie bien la formule selon laquelle le déféré est une espèce de recours dans le recours qui n'est pas un recours.

 

Pour la petite histoire, et preuve que ce déféré n'est pas bien connu, j'ai plaidé il y a une semaine, en défense, sur une déféré d'irrecevabilité d'appel.

Pour commencer, le confrère appelant a demandé à la Cour (chambre prud'homale), si elle souhaitait qu'il plaide tant sur l'irrecevabilité de l'appel (le déféré) que sur le fond.

Je crois que le confrère n'a bien compris que le refus de la Cour s'imposait.

Quand bien même la Cour l'aurait souhaité qu'il était impossible de prendre le fond.

Nous étions sur un déféré, dont l'objet était de statuer sur l'irrecevabilité de l'appel, rien d'autre. La Cour, sur ce déféré, n'était pas saisie du fond...

... et heureusement, car autant je pouvais plaider sur le moyen d'irrecevabilité que j'avais soulevé autant j'étais extrêmement mal à l'aise pour plaider le fond de cette affaire prud'homale...

 

 

 

 

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Mon Cher Confrère,

Dans le prolongement de votre pertinent développement sur le régime du déféré, je m'interroge sur la situation suivante :

- appel de mon adversaire mi-octobre 2018,
- irrecevabilité de son appel fin novembre 2018 après sommation infructueuse de payer le timbre fiscal
- déféré de l'appelant à la Cour de l'ordonnance d'irrecevabilité (en délibéré pour avril semble-t-il)
- dénonce par huissier le 10 janvier 2019 à ma cliente de la DA et des CLS d'appelant

Sur régularisation de ma constitution par RPVA en février, le greffe la refuse en m'informant que "l'affaire est terminée" depuis l'ordonnance d'irrecevabilité de l'appel rendue par le CME en novembre.

Or, le déféré n'étant, selon la Cour de Cass., qu'un ace de procédure qui s'inscrit dans le cadre de la procédure d'appel, je m'interroge, non seulement sur l'attribution d'un RG différent au différent, mais surtout sur le fait que l'affaire principale soit dès à présent considérée comme terminée et qu'on m'interdise de m'y constituer pour conclure, à titre "conservatoire"

Car si d'aventure, ne pouvant ni me constituer ni conclure, la Cour venait à infirmer l'ordonnance, quid de la recevabilité de mes conclusions postérieure au 10 avril 2019 (post délai de 3 mois après la dénonce) ?

Merci de votre éclairage si vous en avez le temps.

Votre bien dévoué Confrère

L. CHOUETTE
Barreau de TOULON

Ma chère consoeur,

Entièrement d'accord.

Ce nouveau RG est un non sens... mais il créé artificiellement un nouveau dossier. C'est bon pour les stats, surtout que l'ancien RG aura été classé rapidement, sans qu'il soit à l'image des délais réels d'instruction.

Le RPVA, qui a aussi bon dos, oblige le CPC à se plier à certaines exigences...

VBD

CL