"Après une première phase de consultation menée par dix référents durant plus de 3 mois, une cinquantaine de déplacements de la ministre dans les juridictions et services déconcentrés, la remise de rapports mi-janvier à la garde des Sceaux et une première phase de concertation avec les parties prenantes sur la base de ces rapports, une nouvelle phase de concertation va s’ouvrir autour des axes de la réforme présentés dans ce document.".

Pour cette concertation annoncée, un document "les axes de la réforme" a été présenté.

Regardons d'un peu plus près ce qui nous intéresse plus particulièrement sur ce blog. Cela exclut l'aspect pénal de la justice.

 

 

Au démarrage de la procédure : simplifier la saisine des juridictions
  • En mettant en place un acte unique de saisine, en lieu et place des 5 modes de saisine actuels (déclaration au greffe, assignation, requête non contradictoire, requête conjointe, requête simple) ;
  • En ouvrant la possibilité, sans que cela soit une obligation, de réaliser la saisine de la juridiction en ligne, à l’aide d’un formulaire accessible sur justice.fr.

 

Il apparaît effectivement opportun de réduire ces modes de saisine.

L'avocat ne s'en plaindra pas, et le justiciable pas davantage.

Faudra-t-il adopter l'assignation, ce qui plaira également à nos amis huissiers ? C'est certainement ce qui coûte le moins cher pour l'Etat, c'est sûr et respectueux des droits de la défense.

La saisine de la juridiction en ligne est également une bonne chose, sous réserve que cela ne créé pas une discrimination entre ceux qui ont accès à l'Internet et ceux qui ne l'ont pas. C'est apparemment ce qui est admis puisque cette saisine sera facultative.

 

Au cours de la procédure : assurer une meilleure lisibilité de l’avancement de la procédure
  • En permettant une mise en état dynamique des affaires ;
  • En responsabilisant les parties en inscrivant leur instance dans des délais prévisibles.

 

Une "mise en état dynamique des affaires", j'avoue ne pas bien saisir à quoi cela correspond !

Avocats et juges vont chatter pour discuter de l'affaire ?

"Inscrire l'instance dans des délais prévisibles", pour "responsabiliser les parties" ?

Faut-il comprendre qu'il s'agirait de prévoir, dès la première instance, des délais impératifs pour les écritures, la communication des pièces, à l'instar de ce qui existe aujourd'hui devant les cours d'appel ?

Ca sent le "Magendie" version tribunal... Et ça, ça risque de pas plaire aux confrères.

Personnellement, cela ne me dérange pas. Au demeurant, faisant de la procédure tribunal et de la procédure cour, je trouve que la mise en état en première instance n'est pas très satisfaisante. Nous attendons trop longtemps pour obtenir les écritures des uns et des autres, et il n'existe rien de coercitif pour inciter les conseils à conclure.

Un peu plus de rigueur serait certainement opportun.

 

Au moment de la décision :
  • En permettant au juge de statuer sans audience dès lors que les parties en sont d’accord ;

- Ex. un étudiant originaire de Rennes auquel au mois de mai, son propriétaire à Paris n’a pas rendu son dépôt de garantie, ne sera pas obligé de revenir à Paris si les parties sont d’accord car le juge pourra statuer sans audience.

 

Il m'était déjà apparu qu'il pourrait être intéressant, dans certains cas, que le juge puisse statuer sans audience. Il peut déjà le faire, par exemple, dans le cadre du 462 CPC (requête en erreur matérielle).

Et il est vrai que mobiliser un ou des magistrats à une audience pour assister à des dépôts de dossiers, ça n'a pas tellement de sens.

De plus, depuis la suppression des avoués nous constatons que les avocats, bien souvent éloignés de la juridiction d'appel, lorsqu'ils n'ont pas un postulant sur place, adressent un courrier à la juridiction pour expliquer que "compte tenu de leur éloignement géographique", ils resteront au chaud chez eux.

C'est à mon avis assez dangereux de déserter les audiences, mais dans certains cas, il peut être opportun de supprimer l'audience.

Avocats et magistrats peuvent gagner du temps mieux utilisé ailleurs.

Pour la procédure orale, rappelons que l'article 446-2 du CPC permettait déjà aux parties, dans certains cas, de ne pas se présenter à l'audience. Un pas de plus est franchi : si les parties ne sont pas à l'audience, autant que le magistrat reste lui aussi dans son bureau.

La proposition n'est pas idiote.

Il faut juste être vigilant, pour éviter qu'il n'existe plus d'échanges entre les avocats et les magistrats, qui bien souvent ne se voient qu'aux audiences.

Si nous voulons que les avocats connaissent encore les juges, et réciproquement, il faut garder du lien.

 

Améliorer les délais de traitement
  • En développant les règlements amiables des différends (Modes Alternatifs de Règlement des Différends - MARD), à tous les stades de la procédure. Le rapprochement des parties pourra en effet être utilement envisagé par exemple lors de la mise en état, lorsque les arguments et pièces ont été échangés.
  • En permettant de fixer dès le premier rendez-vous judiciaire, lorsque les avocats auront fait le choix d’une procédure participative, la date de fin de procès ;
  • En ouvrant à l’ensemble des parties la possibilité de suivre par voie dématérialisée l’avancée de la procédure et de connaître le calendrier fixé pour leur affaire ;
  • En simplifiant certaines procédures de divorce en évitant au justiciable de déposer tout d’abord une requête puis, dans un délai de trente mois, une assignation ;
  • En créant une juridiction unique dématérialisée du traitement des demandes des injonctions de payer.

 

Evidemment, régler le différend sans embêter le juge, c'est bien pour le fonctionnement des juridictions que nous savons encombrées.

Ces modes de règlement doivent être étendue, incités.

La bonne chose - et qui m'étonne au demeurant - est qu'il n'est pas fait obligation, à peine d'irrecevabilité, de passer par un mode amiable de règlement du différend avant la saisine du juge étatique.

La volonté de dématérialiser est également une bonne chose.

La simplification des procédures notamment de divorce est a priori opportune. Reste à voir concrètement ce qui est envisagé.

 

Accroître l’efficacité de l’action des juridictions
  • En recentrant le juge et le greffe sur les tâches qui justifient l’intervention de l’autorité judiciaire ;
  • En déjudiciarisant certaines procédures ;

- Ex. les époux ayant de jeunes enfants voulant changer de régime matrimonial en raison, par exemple, d’une modification de la situation professionnelle de l’un d’eux, pourront le faire devant notaire, sans avoir besoin de saisir un juge : ce sera beaucoup plus rapide et donc plus adapté à leurs besoins.

  • En modernisant le contrôle du juge sur les actes concernant les majeurs sous tutelle en le concentrant sur les actes aux consé- quences les plus lourdes et en confiant la vérification des comptes de gestion à des professions réglementées (experts comptables, huissiers, notaires) quand le patrimoine le justifie ;
  • En étendant la représentation obligatoire pour que les justiciables soient défendus par des avocats dans les matières les plus complexes juridiquement et en appel, tout en maintenant la possibilité pour les justiciables de saisir le juge sans avocat pour les litiges du quotidien et notamment les litiges portant sur un enjeu inférieur à 10 000 euros, comme c’est le cas actuellement ;
  • En reconnaissant le caractère exécutoire de la décision de première instance pour que les décisions de justice s’exécutent rapidement.

 

Déjudiciariser, OK, mais il ne faudrait pas non plus que ces affaires sortent du champ de compétence de l'avocat.

Le divorce par consentement sans juge a été dévolu aux avocats, et c'est une bonne chose. Petit rappel historique : ce sont aux notaires que le président Sarkozy avait voulu donner ce type de divorce, ce qui était absurde.

L'avocat s'est emparé de ce type de divorce qui présente de nombreux avantages.

L'avocat doit avoir un rôle central.

A cet égard, c'est le moment de relancer l'acte d'avocat revêtu de la force exécutoire.

Les notaires vont râler, évidemment, mais rien ne justifie que la profession d'avocat ne puisse en bénéficier.

 

Prévoir la possibilité de se défendre seul, sans avocat, se justifie dans certaines affaires, notamment en raison du montant du litige.

L'avocat peut difficilement facturer, et sa plus-value est parfois discutable.

L'avocat n'a pas un intérêt particulier à prendre ce "marché".

En revanche, pour le petits litiges, il y a certainement une possibilité d'oeuvrer pour offrir un service adapté à ce litige. Il est certain que certains cabinets sauront profiter de l'aubaine. Et si ce ne sont pas les avocats qui le font, ce sera des étudiants fraichement sortis d'écoles de commerce...

 

D'un autre côté, l'absence de représentation peut être une mauvaise idée.

Ainsi, devant le tribunal de commerce, est-il opportun de maintenir cette règle ? C'est un droit compliqué, et les enjeux sont souvent très élevés et en pratique les parties prennent un avocat.

Une représentation obligatoire ne serait pas choquante. Même les prud'hommes a franchi un pas, avec le décret du 20 mai 2016.

 

En appel, que reste-t-il de la procédure sans représentation obligatoire ? Principalement les appels de TASS, des tribunaux paritaires des baux ruraux.

Il ne serait pas étonnant que l'appel en matière de sécurité sociale sera bientôt avec représentation obligatoire.

La procédure sans représentation obligatoire risque de se réduire en appel.

La procédure devant le premier président pourrait suivre le même sort. En effet, quel intérêt de permettre à des parties de se défendre seul devant le premier président alors que, parallèlement, l'affaire au fond devant la cour est avec représentation obligatoire ?

 

L'exécution provisoire de toutes les décisions de première instance revient dans le débat.

Ce point avait provoqué l'ire - à mon avis inopportune voire déplacée - de la profession d'avoué il y a plus de 10 ans.

Or, il n'est pas choquant que celui qui a obtenu un jugement puisse l'exécuter alors même que son adversaire fait appel.

Et de toute manière, il sera prévu que cette exécution provisoire puisse être  arrêtée, dans certains cas.

A l'effet suspensif de l'appel, ne faut-il pas préférer les droits de celui dont on a dit qu'il avait raison ?

La profession d'avocat ne devrait pas s'y opposer.

Et si quelques velléités existaient à cet égard, nous pourrions rappeler que la réaction des avoués à l'époque avait eu pour conséquence que la chancellerie avait pris en grippe cette noble profession rangée aujourd'hui à coté des dodos.... mais ils l'avaient bien mérité... et je ne parle pas des dodos qui, à ma connaissance, n'étaient pas jalousés par les autruches...

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A suivre, "Transformation numérique" et "Adaptation de l’organisation judiciaire"

Auteur: 
Christophe LHERMITTE