Une décision dont la rigueur en fera rager certains.

 

Un appelant, en matière prud'homale, interjette appel d'un jugement statuant sur la compétence.

Nous praticiens savons à quel point la procédure d'appel en matière d'exception d'incompétence est une usine à gaz où il est aisé de tomber.

Notre appelant oublie de motiver sa déclaration d'appel, ce qui n'échappe par à l'intimé vigilant.

Qu'à cela ne tienne, notre appelant trouve la parade : les conclusions qui devaient être jointes à la déclaration d'appel étaient jointes à la requeête du premier président.

Le tour est joué... ce qui était sans compter sur la rigueur de la Cour d'appel pavoise qui déclare l'appel irrecevable.

Et ce n'est pas la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui viendrait au secours de notre appelant malheureux puisqu'elle considère que « L’article 85 du code de procédure civile exigeant que la déclaration d’appel dirigée contre un jugement statuant exclusivement sur la compétence soit motivée dans la déclaration elle-même ou dans des conclusions qui y sont jointes, les conclusions au fond annexées à la requête, qui sont adressées au premier président et non à la cour d’appel, ne peuvent constituer la motivation requise. » (Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, n° 19-17.630).

Et cette rigueur ne choque pas sur le plan strictement procédural.

Nous savons tous que le premier président est une juridiction autonome de la cour d'appel, et devant lequel les règles sont différentes. Les deux sont étanches, s'il fallait résumer.

Par conséquent, on ne rattrape pas une erreur commise devant la cour d'appel par une diligence effectuée devant la juridiction d'appel.

C'est raide, mais il faut faire avec.

L'appel en matière d'exception d'incompétence requiert une grande rigueur et une grande vigilance.

Au moindre doute, confiez ces appels à un confrère qui a fait ses preuves.

Surtout, en matière prud'homale, il est important de ne pas se planter dans ces appels car les conséquences sont plus importantes que dans d'autres matières.

En effet, bien souvent, si le juge s'estime incompétent, c'est parce qu'il a considéré qu'il n'y avait pas un contrat de travail. Devant la juridiction compétente, il ne sera plus possible de discuter ce chef tranché qui autorité de la chose jugée.

 

Néanmoins, notre appelant sera sauvé par un autre moyen.

Car noitre appelant s'était aperçu de sa bévue, et avait rectifié le tir deux jours plus tard, par l'envoi de ses conclusions.

Et c'est là que la cour d'appel se fait taper sur les doigts.

Pour la Cour de cassation :

« Vu les articles 85 et 126 du code de procédure civile :
8. Il résulte de la combinaison de ces textes que le défaut de motivation du recours, susceptible de donner lieu à la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel du jugement statuant sur la compétence, peut être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire, par le dépôt au greffe, avant l’expiration du délai d’appel, d’une nouvelle déclaration d’appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d’appel.
9. Pour déclarer l’appel irrecevable, l’arrêt retient que les conclusions au fond n’ont été déposées, à l’occasion de la procédure d’appel, par la voie électronique, que le 14 juin 2018, soit deux jours après la déclaration d’appel.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si ces conclusions, de nature à régulariser l’absence de motivation de la déclaration d’appel, avaient été remises à la cour d’appel avant l’expiration du délai d’appel, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
»

Personnellement, cela me convient.

J'écrivais, dans un ouvrage que tout le mnide s'est arraché, que "si les conclusions sont transmises dans le délai d'appel, il pourrait être considéré que l'irrecevabilité est couverte au regard de l'article 126" (Procédures d'appel, Dalloz coll. Delmas express, n° 1715). Je considérais donc que "il devrait être possible de transmettre des conclusions jusqu'à l'expiration du délai d'appel", poursuivant que "pour la même raison, l'envoi de deux messages séparés, l'un contenant l'acte d'appel et l'autre contenant les conclusions, devrait être admis".

Entre le post d'hier sur l'instance, et celui-ci, si je ne vous ai pas convaincu de donner 28 euros à Dalloz pour sécuriser votre procès d'appel, je ne sais pas ce que je peux faire !

Cette décision de la Cour de cassation me paraît conforme à ce que nous pouvions attendre.

 

#appel # incompétence #procedure #exceptiondincompetence #contredit

Auteur: 
Christophe Lhermitte

Commentaires

Dans le délai de purge de l

Dans le délai de purge de l’exercice d’une formalité à accomplir (ou non), la Haute Cour établit une « zone franche » de régularisation notamment des fins de non recevoir et laisse ainsi la place à une éventuelle régularisation dans ce délai « impératif ».
Mais au delà du délai, la censure sans régularisation possible tombe ... comme il tombe en l’absence de formalité réalisée préalablement à son terme pour y procéder.
Grace à cette rigueur assortie d’une faculté de régularisation, nombre de notions seront susceptibles d’être « prorogées » pour différer de ce terme celui de la notion de délais de formalité de rigueur.
N’est-ce pas ? À moins que ...