Cet arrêt (Cass. 2e civ., 29 juin 2023, n° 22-14.432, Publié au bulletin) est intéressant à deux titres :

  1. Le premier est un rappel. Mais il demeure inétressant.
  2. Le second confirme ce que nous pensions, à savoir que celui qui se loupe avec ses conclusions 908 ou 909, ne peut revenir en deuxième semaine.

 

« Vu l’article 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :
4. Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions et si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière distincte.
5. Le troisième alinéa de ce texte dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
6. Ces dispositions, qui imposent la présentation, dans les conclusions, des prétentions ainsi que des moyens soutenus à l’appui de ces prétentions, ont pour finalité de permettre, en introduisant une discussion, de les distinguer de l’exposé des faits et de la procédure, de l’énoncé des chefs de jugement critiqués et du dispositif récapitulant les prétentions. Elles tendent à assurer une clarté et une lisibilité des écritures des parties.
7. Elles n’exigent pas que les prétentions et les moyens contenus dans les conclusions d’appel figurent formellement sous un paragraphe intitulé « discussion ». Il importe que ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions.
8. Pour confirmer le jugement, l’arrêt retient que les dernières conclusions de Mme [I] et de la société Ostéopathie Charlotte Pavlovic ne comportent aucune « discussion », mais simplement cinq chapitres, intitulés « – Faits et procédure, – Sur l’appel formé par la SCI du [Adresse 1], – Sur l’appel formé par le docteur [I] et la société Ostéopathie Charlotte Pavlovic, – Les demandes reconventionnelles de la SCI en première instance, – Les préjudices subis nécessairement indemnisables » et qu’à défaut de « discussion », la cour d’appel ne pourra donc examiner aucun des moyens invoqués dans ces conclusions au soutien de leurs prétentions, telles qu’énoncées au dispositif, moyens qui doivent donc être considérés comme n’étant pas expressément énoncés au soutien de leurs demandes d’infirmation du jugement entrepris.
9. En statuant ainsi, alors que les conclusions de l’appelante distinguaient, de manière claire et lisible, les prétentions ainsi que les moyens soutenus en appel à l’appui des prétentions, la cour d’appel, qui a ajouté au texte une condition qu’il ne prévoit pas, a violé le texte et le principe susvisés.
»

Pas de formalisme excessif, et surtout d'exigence trop formelle quant à la manière dont l'avocat osuhaite rédiger ses conclusions.

Cela est résumé par le : Elles n’exigent pas que les prétentions et les moyens contenus dans les conclusions d’appel figurent formellement sous un paragraphe intitulé « discussion ».

Il suffit que les conclusions soient structurés, et qu'elles permettent de comprendre qu'il s'agit de la partie discussion exigée à l'article 954.

Cela étant, à quoi bon faire dans l'exotique ?

Est-il si compliqué de couper en plusieurs parties, et d'intituler l'une d'elle DISCUSSION ?

Le Legal Design empêcherait-il cette présentation simple mais efficace ?

Un conseil : faites dans le classique, comme nous le faisons depuis des décennies.

Innover, c'est bien ; mais ce n'est pas toujours très opportun.

***

« Vu les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
11. Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l’application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626 publié) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
12. L’appel incident n’étant pas différent de l’appel principal par sa nature ou son objet, les conclusions de l’appelant, qu’il soit principal ou incident, doivent déterminer l’objet du litige porté devant la cour d’appel.
13. L’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l’article 909 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de cet article 954.
14. Pour constater l’absence d’effet dévolutif de l’appel incident, l’arrêt retient que la société SCI du [Adresse 1] conclut à la confirmation du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 7 mars 2019 en ce qu’il a débouté Mme [I] et la société Ostéopathie Charlotte Pavlovic de leurs demandes à l’encontre de la société SCI du [Adresse 1], mais ne sollicite ni la confirmation, ni l’infirmation des autres chefs du jugement qu’elle critique à titre incident.
15. L’arrêt en déduit que l’appel incident formé par la société SCI [Adresse 1] ne produit aucun effet dévolutif au-delà de sa demande, limitée, de confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [I] et la société Ostéopathie Charlotte Pavlovic de leurs demandes à son encontre.
16. En statuant ainsi, la cour d’appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l’état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n’était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 16 avril 2019, une telle portée résultant de l’interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’application de cette règle de procédure dans l’instance en cours aboutissant à priver la société SCI du [Adresse 1] d’un procès équitable au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
»

Tout est contenu dans le : L’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l’article 909 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de cet article 954.

Que dire de plus ?

Pour être des conclusions 908 ou 909, elles doivent répondre à l'exigence de l'artcile 954.

Si ce n'est pas le cas, ça vaut pas et on applique alors la sanction.

La cour d'appel s'était placé sur le terrain de l'absence d'effet dévolutif.

La Cour de cassation semble l'admettre.

Mais c'est peu convaincant.

Eventuellement, cela peut valoir pour un appel qui a pour effet d'élargir la dévolution.

Mais lorsque ce n'est pas le cas, ça fait flop !

  • Explication :

 

L'appelant demande en appel le débouté au titre de la prestation compensatoire, fixée à 50000 euros en première instance.

L'intimé voulait quant à lui demander l'infirmaiton et en conséquence la condamnation de l'appelant à payer 100000 euros à ce titre.

Si l'intimé s'est loupé et a oublié de demander l'infirmation, il est absurde de dire que la dévolution n'a opéré du chef de la prestation compensatoire.

Le mieux est de considérer que cet appel incident ne saisit pas la cour d'appel, ou de soutenir devant le CME que l'appel incident est irrecevable faute d'avoir été formé dans le délai d'appel incident.

***

Je ne sais s'il est opportun de laisser passer ce genre de chose.

Ne faudrait-il pas que la Cour de cassation fasse ponctuellement le ménage, en rectifiant les juges d'appel qui s'égarent ?

A mon avis, ce serait pas mal, d'autant d'ailleurs qu'en matière de procédure, ce qui émane des cours d'appel peut davantage ressemble à la cour des miracles.

Alimentée par des moyens pas toujours très frais, la décision servi peut difficilement relever de l'oeuvre d'art.

La crainte est de perdre encore en qualité... avec le problème que les avocats font des recherches de jurisprudence, et priduisent alors, dans le cadre d'incidents de procédure, des arrêts d'appel qui auraient gagné à demeurer enfouis...

 

 

Auteur: 
Christophe Lhermitte