La chambre de la procédure revient sur sa jurisprudence qui retenait l'application de 528-1 au recours en révision (Cass. 2e civ., 23 mars 2023, n° 21-18.252, Publié au bulletin) :
« Vu les articles 528, 528-1, 593, 595 et 596 du code de procédure civile et l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
9. Selon le premier de ces textes, le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n’ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement. Selon le deuxième, si le jugement n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai.
10. Aux termes du troisième, le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit. Aux termes du quatrième, le recours en révision n’est ouvert que pour l’une des causes suivantes : 1. S’il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ; 2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d’une autre partie ; 3. S’il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ; 4. S’il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement. Dans tous ces cas, le recours n’est recevable que si son auteur n’a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu’il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
11. Selon le cinquième de ces textes, le délai du recours en révision court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu’elle invoque.
12. La Cour de cassation a jugé (2e Civ., 7 juillet 2005, pourvoi n° 03-15.662, publié ; 2e Civ., 17 mai 2018, pourvoi n° 16-28.742, publié) que l’article 528-1 du code de procédure civile s’appliquant aux voies de recours ordinaires et extraordinaires, une partie qui a comparu n’est pas recevable, en application de ces dispositions, à former un recours en révision contre un jugement qui n’a pas été notifié dans les deux ans de son prononcé.
13. Il y a toutefois lieu de reconsidérer cette interprétation.
14. D’une part, l’article 528-1 du code de procédure civile a été créé, par le décret n° 89-511 du 20 juillet 1989, afin d’éviter, pour des préoccupations tenant à la sécurité juridique, qu’un jugement qui n’a pas été notifié demeure susceptible d’un recours, sans limite dans le temps, dans les cas où, en application de l’article 528 du même code, le délai de recours court à compter de la notification du jugement.
15. Le recours en révision tend à faire rétracter, ainsi qu’il est dit à l’article 593 du code de procédure civile, un jugement passé en force de chose jugée, lequel se définit comme celui qui n’est susceptible, conformément à l’article 500 du même code, d’aucun recours suspensif d’exécution.
16. Le délai de recours en révision, qui n’est ouvert que pour l’une des causes limitativement énumérées à l’article 595 du code de procédure civile, court à compter, non de la date de notification du jugement, mais du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu’elle invoque.
17. L’objectif du recours en révision, destiné à faire obstacle au maintien d’une décision de justice, serait-elle irrévocable, qui aurait été obtenue par fraude ou selon un déroulement déloyal de la procédure, est étranger à celui poursuivi par l’article 528-1 du code de procédure civile.
18. D’autre part, interdire à la partie à l’encontre de laquelle le jugement a été rendu la faculté d’agir en révision, faute pour celui-ci d’avoir été notifié dans les deux ans de son prononcé, méconnaîtrait, eu égard à la finalité du recours en révision, tant le droit d’accès au juge que le droit à un procès équitable, garantis par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
19. Il en résulte que l’exercice du recours en révision ne saurait être entravé par les dispositions de l’article 528-1 précité.
20. Il apparaît, dès lors, nécessaire d’interpréter désormais les dispositions de l’article 528-1 du code de procédure civile à la lumière des dispositions conventionnelles rappelées plus haut, en ce sens qu’elles ne s’appliquent pas au recours en révision.
21. Pour déclarer irrecevable le recours en révision de M. [W], l’arrêt retient qu’il est admis que les dispositions de l’article 528-1 du code de procédure civile s’appliquent tant aux voies de recours ordinaires que extra-ordinaires et qu’ainsi, un recours en révision contre un jugement qui n’a pas été notifié dans les deux ans de son prononcé est irrecevable.
22. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Contrairement à une idée parfois reçue, les cas de revirement de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne sont pas si fréquents.
Il existe une cohérence, selon moi, dans cette oeuvre de construction jurisprudentielle que nous devons à la chambre de la procédure.
On peut parfois ne pas être d'accord avec la position adoptée, mais elle est incohérente, et alors, la Cour de cassation maintient son cap.
Sauf erreur, ces dix dernières années, je crois avoir vu un seul vrai revirement, entre 2015 et 2016, concernant les moynes contenus dans des conclusions et relevant de la compétence du conseiller de la mise en état : après avoir dit que le CME devait le relever d'office, la Cour de cassation s'est renue compte que c'était inapplicable en pratique, et que c'était source de confusion et de bazar aux audiences.
Ici, la Cour de cassation annonce clairement qu'elle revoit sa jurisprudence, et elle s'en explique.
La Cour de cassation ne se contente pas de sortir la nouveauté, sans s'expliquer, à charge pour les avocats ou les magistrats de comprendre qu'elle revirait.
C'est à souligner, et à saluer.
Depuis quelques temps maintenant, je trouve que les arrêts de cassation ont vraiment gagné en clarté, et en précision. La Cour de cassation se veut didactique.
A noter par exemple, cet arrêt du même jour (Cass. 2e civ., 23 mars 2023, n° 21-13.093, Publié au bulletin), qui fait le point de la jurisprudence sur les mesures d'adminstration judiciaire susceptibles d'un recours pour excès de pouvoir. Cette précision apportée dans l'arrêt ne sert pas l'arrêt, mais est extrêmement intéressant pour les avocats et les magistrats.