Qu'on ne dise pas que cette solution s'imposait, car cela est tout à fait inexact.
La solution donnée par la Cour de cassation, dans son avis (Cass. 2e civ., 9 mars 2023, n° 22-70.017, Publié au bulletin), est certainement opportune :
« EMET l’avis suivant :
« Lorsqu’une société d’assurance est partie à un litige à raison de plusieurs contrats couvrant différentes personnes, l’article 414 du code de procédure civile ne fait pas obstacle à ce qu’elle soit représentée par autant d’avocats que de personnes assurées. » »
. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CASS/2023/CASSP4D4D06E3F5F76AE07227
... mais sur le plan procédural, elle est très très discutable.
Si l'on m'avait posé la question - question que je m'étais déjà posée avant cet demande d'avis -, voici ce que j'aurais répondu :
L’article 414 du code de procédure prévoit que « Une partie n'est admise à se faire représenter que par une seule des personnes, physiques ou morales, habilitées par la loi ».
Le principe de l’unicité de représentation est parfois, et même souvent, mise à mal, sans que cela ne pose véritablement difficulté, cette règle n’étant que peu invoquée.
En effet, il est courant, notamment en présence d’assureurs, que ces derniers constituent autant d’avocats pour les représenter qu’ils ont de qualités. Et c’est ainsi que ASSUREUR XXX en sa qualité d’assureur décennal de YYY sera représenté par Maître AAA, alors que ASSUREUR XXX en sa qualité d’assureur RC de ZZZ sera représenté par Maître BBB, etc.
Pour autant, même si cet assureur assure plusieurs personnes différentes, qui peuvent avoir des inté-rêts contraires, et à des titres divers, il n’en demeure pas moins qu’elle est la même personne juridique, quelles que soient les qualités dans lesquels elle agit.
En se faisant représenter par des avocats différents, la partie contrevient à la règle de l’unicité de re-présentation de l’article 414.
Et cela peut avoir des conséquences sur le plan procédural.
Il pourrait ne pas être tenu compte des actes de constitution ultérieurs à la première constitution, au mo-tif que ces actes de constitution sont sans objet dès lors que la partie est déjà représentée. Ou, au con-traire, il serait tenu compte de la dernière constitution, si l’on considère que chaque constitution est une constitution en lieu et place de l’avocat précédemment constitué.
Cela pose aussi difficulté au regard des conclusions.
En application de l’article 954, la cour d’appel ne statue que sur les dernières conclusions. La cour d’appel pourrait donc n’examiner que les dernières conclusions de cette partie, sans examiner les conclusions dans lesquelles elle apparaît dans une autre qualité.
Cette pratique consistant à une représentation multiple est très dangereuse, même si à ce jour, il n’apparaît pas que les juges se soient saisis de cette question de procédure. Et cela est probablement dû au fait que cette pratique est ancienne et bien ancrée, de sorte qu’elle paraît conforme, ce qu’elle n’est pour-tant pas.
Cette pratique peut être corrigée, pour anticiper les difficultés à venir.
Il serait possible, par exemple, de confier la mission de représentation à un avocat unique, et de confier l’assistance, et donc la rédaction des conclusions, à plusieurs avocats, dès lors qu’il n’est pas interdit d’être assister de plusieurs avocats.
Le représentant pourrait présenter un jeu de conclusions unique pour la partie en prévoyant des parties distinctes pour chaque qualité, mais avec un dispositif synthétique. Le travail de synthèse peut s’avérer un peu difficile, mais certainement pas insurmontable.
La vraie difficulté se rencontrera si la partie a des qualités qui s’opposent. Mais il est impensable d’accepter qu’une partie demande sa propre condamnation, ou sa garantie. Il appartiendra à la partie de régler cette difficulté de contrariété d’intérêts en interne.
De la même manière, les autres parties à l’instance doivent tenir compte de cette règle de l’unicité.
Sur le plan procédural, une partie n’a pas à assigner en intervention forcée, ou à assigner en appel pro-voqué, une partie qui est déjà représentée, même si c’est en une autre qualité.
Si une partie fait appel en une qualité bien définie, l’intimé n’a pas à assigner en appel incident la même partie en une autre qualité. Elle devrait pouvoir conclure contre l’appelant, en toute autre qualité, no-nobstant la restriction indiquée.
Donc, si ASSUREUR XXX en qualité d’assureur de YYY fait appel, il peut subir un appel incident de toute autre partie en toute autre qualité, par exemple en qualité d’assureur de ZZZ.
En pratique, on fait comment ?
Simple possibilité pour l'assureur d'avoir plusieurs avocats ?
Mais peut-il s'y opposer ?
En d'autres termes, la partie "adverse" qui veut élargir à cet assureur en ce qu'il assure une autre partie devra l'assigner ? en intervention forcée ? Ou alors, dans ce cas, l'assureur pourra s'y opposer en disant qu'il est déjà partie de sorte que cette intervention forcée est irrecevable ?
Et pour l'appel, on fait comment ?
L'ASSURANCE X en qualité d'assureur de Y, intimé, peut-il recevoir des demandes en sa qualité de ASSURANCE X en qualité d'assureur de Z ?
On laisse entendre que l'assureur serait fictivement plusieurs parties, ce qui dérange.
Et si ASSURANCE X en qualité d'assureur de Y n'est pas représente, mais que ASSURANCE X en qualité d'assureur de Z est représenté, quelle sera la nature du jugement ? Quel recours sera ouvert ? Peut-on imaginer un opposition en une qualité, mais pas dans une autre ?
Et où s'arrête cette grande indulgence ?
Ca marche pour l'assureur uniquement ?
Pour les parents, représentants légaux de leur enfant, on fait comment ?
Le même parent aura droit, quant à lui, d'avoir plusieurs avocats ?
J'ai lu des réaction de confrères, qui brandissaient cet avis comme une évidence.
Mais ce n'est pas une évidence.
C'est une dérogation à un texte clair.
C'est surtout un avis qui pose question, et qui dérange, car c'est la notion même de partie qui est remise en question.
Alors, avant de se jeter sur cet avis, il faut aussi s'interroger sur les conséquences pratiques. Et elles ne pas si simples.
Personnellement, je ne suis pas très convaincu de l'opportunité d'un tel avis... mais cela, je l'admets, tout le monde s'en...