En voilà une décision intéressante, en ce qu'elle allumera une petite lueur d'espoir dans les yeux malheureux de celui qui a vu son affaire radié pour non exécution, comme le permet l'article 526 du CPC.

Chacun sait en effet que cette radiation 526 est une mesure d'administration judiciaire... et par conséquent non susceptible de recours.

Mais cette interdiction connaît désormais une (petite) ouverture.

En effet, par arrêt du 9 janvier 2020 (noter tout de même que c'était hier ! et notons également qu'il s'agit bien de 2020, même si c'est la date du 9 janvier 2019 qui est indiquée sur le site de la Cour de cassation) la Cour de cassation a statué en ce sens (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301) :

Vu les articles 526, 537 et 916 du code de procédure civile, ensemble l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu qu’il découle du second de ces textes qu’une mesure d’administration judiciaire n’est sujette à aucun recours, fût-ce pour excès de pouvoir ; que bien que le premier de ces textes qualifie de mesure d’administration judiciaire la décision de radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel, cette décision affecte l’exercice du droit d’appel, de sorte qu’elle peut faire l’objet d’un recours en cas d’excès de pouvoir ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que se prévalant du défaut de remboursement par M. et Mme X... de différents prêts qu’elle leur avait consenti, la société Taurus a saisi un tribunal de grande instance qui, par un jugement mixte du 16 décembre 2015, a dit que la loi polonaise était applicable au litige, ordonné une expertise graphologique concernant une signature attribuée à Mme X..., a sursis à statuer sur la demande de condamnation à l’encontre de cette dernière, a condamné M. X... à payer à la société Taurus une certaine somme et a ordonné l’exécution provisoire du jugement à hauteur de la moitié des condamnations prononcées ; que M. et Mme X... ayant relevé appel de ce jugement le 13 janvier 2016, la société Taurus a soulevé un incident de radiation de l’affaire, sur le fondement de l’article 526 susvisé, que le conseiller de la mise en état a accueilli ;

Attendu que pour déclarer irrecevable la requête en déféré contre cette ordonnance, l’arrêt retient que la mesure de radiation du rôle, prise en application de l’article 526 du code de procédure civile, est une mesure d’administration judiciaire, sans aucun caractère juridictionnel et sans aucune incidence sur le lien juridique d’instance qui subsiste et qu’en application de l’article 537 du même code, elle n’est sujette à aucun recours, fut-ce pour excès de pouvoir ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il était allégué que la radiation de l’affaire procédait d’une méconnaissance par le conseiller de la mise en état de l’étendue de ses pouvoirs, dès lors que le jugement attaqué n’était pas assorti de l’exécution provisoire à l’égard de Mme X..., la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

La Cour de cassation relève, et c'est pas rien, que la décision de radiation affecte l'exercice du droit d'appel.

Le maniement de ce concept est toujours, à mon avis, un peu dangereux, car il est tentant de l'arranger à toutes les sauces.

En effet, par définition, tout ce qui fait tomber une procédure de manière prématurée, affecte l'exercice du droit d'appel.

Mais cela permet juste d'ouvrir une voie de recours qui était inexistante.

Pour autant, cette ouverture se fera à la condition posée, en l'espèce, de la méconnaissance par le CME de l'étendue de ses pouvoirs.

Donc, le porte est juste entrebâillée. Pas de quoi s'emballer par conséquent.

Le principe demeurera donc une absence de recours, sauf cas qui resteront rares.

Mais la solution en reste néanmoins intéressante, et d'application pratique.

Et c'est la condition posée qui est intéressante.

Le CME avait méconnu l'étendu de ses pouvoirs pour une raison importante et intéressante : le jugement n'était pas assorti de l'exécution provisoire à l'égard d'une partie.

Et là, immédiatement, nous pensons à ces instances à parties multiples, où l'une n'a aucun intérêt à une radiation, et souhaite que l'instance se poursuive, par exemple car elle a un appel incident à former, ou qu'elle souhaite obtenir une décision irrévocable sans attendre une péremption.

Cette partie pourra donc s'opposer à cette radiation, en l'absence d'exécution provisoire à son égard.

C'est peut-être la partie la plus importante de cet arrêt de cassation, car jusqu'alors, la partie devait invoquer la bonne administration de la justice. Désormais, cette partie pourra se prévaloir de cet arrêt, et rappeler au CME qu'il ne peut radier l'affaire dans de telles conditions.

Au passage, petit rappel. La radiation 526 ne met pas fin à l'instance d'appel.

Et si l'affaire n'est pas rétabli, il faudra attendre la péremption pour espérer voir s'éteindre le lien d'instance.

Auteur: 
Christophe LHERMITTE